Protection des données – Episode II

II : Ma vie privée sous l’oeil des caméras

Depuis les années 70 puis 2008, le droit s’est renforcé pour nous protéger face à la puissance des moyens de surveillance informatique & numérique. Mais qu’en est-il au plus près de nous ?

Big brother ou big inquisiteur ?

La vidéosurveillance est un sujet sensible pour la CNIL car elle touche directement et profondément aux libertés individuelles. Nous pouvons le constater chaque jour et un peu partout (y compris dans nos foyers) : les objectifs des caméras envahissent notre espace et ne pas passer devant l’une d’elle pendant une journée relève de l’exploit.
Quelle en est vraiment l’ampleur dans nos communes et est-ce grave ?

Vidéosurveillance et vidéoprotection

Dans ce monde où les acteurs publics semblent s’être fait une spécialité de vider les mots de leur signification ou de les utiliser à contre-sens, il est utile de préciser le sens véritable de ces deux là. Selon la définition fournie par la CNIL (https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/videoprotection-videosurveillance-cest-quoi-la-difference) :

  • Les dispositifs de vidéoprotection filment la voie publique et les lieux ouverts au public : rue, gare, centre commercial, zone marchande, piscine etc.
  • Les dispositifs de vidéosurveillance filment les lieux non ouverts au public : réserve d’un magasin, entrepôts, copropriété fermée etc.

La différence essentielle est donc que nous sommes tous susceptibles de nous retrouver dans une base de données de vidéoprotection alors que seuls les intéressés le seront dans une base de vidéosurveillance.

La vidéoprotection est beaucoup plus intrusive et ne vous demande pas votre avis. Au passage, on notera que le mot vidéoprotection est assez mal choisi : une caméra est un système assez passif, elle filme, stocke, avec un programme d’intelligence artificielle elle peut arriver à des conclusions, cependant elle n’a pas d’action directe de protection. Mais le mot protection est un bon argument de vente, mieux que télé-vision, vidéo-enregistrement ou vidéo-analyse qui seraient plus corrects au regard de l’utilisation de la majorité des caméras. Il faut bien vendre sa marchandise !

Installer une caméra c’est facile, que le traitement soit légal l’est moins

La mode du technicisme a largement gagné nos décideurs. Cela consiste à croire qu’il existe une solution technique à chaque problème. Pour ce qui concerne les caméras, l’idéologie dominante veut nous faire croire que face aux problèmes de sécurité publique, le déploiement de dispositifs technologiques donne des résultats positifs, en tout cas que cela est plus efficace que les moyens traditionnels qu’ils remplacent généralement (les budgets étant limités).

L’exemple de Plougonvelin :

Une caméra urbaine va coûter quelques centaines d’euros et l’exploitation d’un parc (pour les fonctions basiques) quelques milliers à une petite commune comme Plougonvelin. C’est moins cher que le salaire d’un policier municipal, c’est à la mode, difficile de ne pas y songer.
Oui, mais dans les faits c’est beaucoup plus compliqué. Tout d’abord, la vidéoprotection nécessite une autorisation préfectorale puisque comme nous l’avons vu, filmer la voie publique n’est pas neutre en terme de liberté individuelle.

Généralement, ces caméras municipales servent à la protection des biens (publics) et des personnes mais nous avons pu nous étonner lors d’une vérification de conformité pour la commune de Plougonvelin qu’une des caméras se trouvait affectée à une zone sans intérêt public particulier, mais coïncidant avec une demande qui avait été refusée à un professionnel par le préfet. Le glissement et le mélange des genres est toujours un risque en matière de vidéo.


La gestion au quotidien de ces caméras est également délicate. Rares sont les communes qui vont vérifier que leurs prestataires respectent leurs obligations RGPD. Un tel travail est, il faut l’avouer, assez long et fastidieux, en particulier sur le fait de n’utiliser les services que de sociétés respectant la loi Informatique & Libertés / RGPD… ce qui exclut a priori tous les services numériques des sociétés de droit américain. C’est possible, mais il faut le vouloir et le prouver.


Les accès aux données ne peuvent également être faits que par des personnes dûment autorisées, le stockage l’est pour un temps précisément défini, l’exercice des droits par les citoyens (consultation, effacement, copie, refus de profilage, …) doit être respecté. Sur ce dernier point, il est à peu près certain que la majorité des municipalités ne sont pas en mesure de donner correctement suite à une simple demande de consultation d’un enregistrement vidéo, d’autant plus qu’il y a là un obstacle technique de taille : vous avez le droit de consulter vos données, mais pas de voir les autres personnes sur l’enregistrement… Enfin, les enregistrements peuvent révéler vos opinions politiques, syndicales, religieuse, vos orientations sexuelles, ce qui est par défaut un traitement interdit par la loi.

Une fuite en avant pour des résultats discutables

L’association La Quadrature du Net a dernièrement déposé une plainte contre l’État à propos (dixit) des « quatre piliers de la répression et surveillance qui se renforcent les uns les autres. Le fichage, à travers les fichiers TAJ et TES qui constituent des bases de données d’une énorme partie de la population. La reconnaissance faciale, qui est utilisée depuis 10 ans par les forces de police. Les caméras de vidéosurveillance qui se déploient de manière exponentielle sur tout le territoire. Et enfin la vidéosurveillance algorithmique, qui tente de pallier l’inefficacité des caméras classiques en automatisant la détection d’infractions. Ces quatre piliers de la Techno police entraînent une surveillance totale de l’espace public et une répression d’autant plus conséquente qu’elle dote la police d’encore plus de moyens pour réprimer la population. »


En effet, non seulement le nombre de caméras augmente de façon conséquente (la commune de Plougonvelin compte un peu plus de 4000 habitants et 38 caméras installées par la municipalité, plus celles installées par les autres établissements publics comme la CCPI) mais, par un effet multiplicateur, le parc installé « s’enrichit » régulièrement de fonctionnalités.

La reconnaissance faciale est très à la mode, les ingénieurs s’attaquent à la reconnaissance automatique d’infractions. Ce n’est donc qu’une question de temps pour que la machine détecte que votre voiture a été garée pendant 5mn hors délai du parcmètre et vous envoie l’amende automatiquement…


Naturellement personne ne le vendra comme cela. Ce qui est mis en avant c’est la recherche des terroristes, les tueurs d’enfants et de policiers, les grands criminels, les délinquants grands et petits, la chasse à l’incivilité et de proche en proche jusqu’à vous qui remplissez la poubelle jaune avec des choses qui doivent aller dans la bleue (oui, la caméra du réverbère vous a vu le faire, merci de passer à la mairie pour une mise au point civique !).


Il n’y a pas de limites à ce que peut faire la machine sinon la volonté du citoyen à les fixer. C’est pour cela qu’il doit y avoir un débat public sur le sujet. C’est pour cela que les conseils municipaux doivent s’engager dans un tel débat.

Et quelle est l’efficacité de ces caméras ? Il existe beaucoup d’études sur le sujet. Nous ne renverrons qu’à celle-là, menée à la demande du centre de recherche de la gendarmerie nationale, et qui a été publiée dans la gazette des communes (deux assez bons gages d’objectivité).

L’enquête conclut à un apport très marginal de la vidéosurveillance dans la résolution des enquêtes judiciaires mais aussi dans la dissuasion. En termes simples : le coût n’est pas nul mais l’efficacité n’est pas loin de l’être.

Conclusion

Le déploiement des caméras, puis les glissements successifs vers un couplage avec des algorithmes toujours plus intrusifs, mettent en place une pression numérique forte et insidieuse sur nos droits fondamentaux à la liberté et à la vie privée. L’exemple du crédit social chinois nous donne un aperçu de ce qui pourrait nous arriver si personne n’empêche la dérive techno sécuritaire.


Ce déploiement semble indolore au citoyen car il est largement incompris voire inconnu. Il est aussi assez inefficace par rapport aux buts affichés.
Il prive également les collectivités de moyens pour recourir aux solutions classiques de prévention par des éducateurs ou d’intervention par la police municipale. Il confie une partie de la compétence policière à des acteurs privés.
En pratique, il ne permet pas de respecter correctement les droits RGPD des citoyens.

Cette fuite en avant introduit de l’insécurité là où les caméras sont censés introduire de la sécurité.

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