La tarification progressive va-t-elle avoir une incidence sur nos factures d’eau ?
Pour établir la tarification de l’eau, une collectivité dispose de plusieurs leviers : la dynamique de tarification, le montant de la part fixe (dite abonnement), la différenciation de tarification en fonction des usages. Le 30 mars, dans sa présentation du plan Eau du gouvernement, élaboré en collaboration étroite avec tout ce que les secteurs de l’eau et de l’agro-industrie comptent de lobbies, le président de la république a déclaré vouloir favoriser la mise en place d’une tarification progressive. Cette mesure fera-t-elle baisser notre facture d’eau ?
1/ Quelle dynamique de tarification ?
▶️ Un service public de distribution d’eau potable dispose de 3 dynamiques de tarification possibles :
– une tarification dégressive (qui constitue une prime à la consommation : plus on consomme, moins le m3 est cher)
– une tarification linéaire : tout le monde paie le m3 au même prix, quelle que soit sa consommation
– une tarification progressive (tarification visant la sobriété : plus on consomme, plus le m3 est cher).
▶️ Aujourd’hui, à la CCPI, la tarification est dégressive et favorise notamment les gros consommateurs industriels ou agricoles qui sont raccordés au réseau de distribution d’eau domestique.
2/ Quelle part fixe ?
▶️ La part fixe est due par tout abonné, même s’il ne consomme rien. C’est une simple option, confortable pour le service car c’est un revenu assuré. Son montant HT est encadré légalement : il ne doit pas dépasser 30 % de la facture HT pour une consommation annuelle de 120 m3. Aujourd’hui, à la CCPI, la part fixe est proche du maximum autorisé (entre 28 et 30 % pour une consommation de 120 m3).
▶️ Une augmentation du prix pour 120 m³ permet donc d’augmenter la part fixe maximale autorisée.
3/ Notre proposition au conseil communautaire
▶️ Au conseil communautaire du 14 décembre 2022, le groupe Citoyens d’Iroise avait proposé :
1°) d’intégrer dans la part fixe les premiers m3 considérés comme vitaux en faisant commencer la facturation au m3 à 10, 20 ou 30 m³, en fonction du nombre de personnes alimentées par l’abonnement
2°) d’éliminer le tarif dégressif et d’établir un prix fixe au m³ pour tous les abonnés.
Il s’agissait d’une proposition volontairement « mesurée », visant à procéder par étapes afin de parvenir à terme à la tarification progressive, seule politique en phase aujourd’hui avec l’urgence climatique et la raréfaction de la ressource. Elle a été refusée.
▶️ La CCPI a choisi d’augmenter considérablement la part fixe (+17€ HT) et de maintenir des tarifs dégressifs, qui favorisent les gros consommateurs (dont les consommateurs industriels et agricoles, «passagers clandestins» du réseau d’eau potable destiné à la consommation domestique). Nous proposons, au point suivant, une solution pour les industriels.
4/ Alors, la tarification progressive : fin de la tarification privilégiée pour les gros consommateurs ?
Rien n’est moins sûr !
▶️ Il est tout à fait possible, pour la CCPI de faire sortir les gros consommateurs industriels du tarif « domestique » pour leur éviter l’essentiel des conséquences financières de la mise en place d’un tarif progressif . Le «Plan Eau» annonçant la tarification progressive ne s’appliquant qu’aux consommations domestiques, on peut imaginer que la CCPI mette en place un dispositif de ce genre pour éviter les conséquences sur les activités économiques.
▶️Notre proposition :
Réserver le service public de distribution domestique aux usagers domestiques et orienter les industriels vers les vendeurs d’eau (Eau Du Ponant, Syndicat du Bas Léon), la CCPI se limitant à leur louer le réseau pour l’acheminement de cette eau.
(Analogie avec l’électricité : chacun peut avoir un fournisseur différent, tout en utilisant le même réseau électrique). Le service public de distribution d’eau domestique doit s’équilibrer en dépenses et en recettes mais n’a pas vocation à financer l’approvisionnement d’eau industriel.
5/ La tarification progressive, une baisse de la facture pour les petits consommateurs ?
▶️Pour les consommateurs domestiques que nous sommes, rien n’est gagné non plus.
▶️D’abord, « progressif » ne signifie pas « tarif bas pour les petits consommateurs », mais juste « tarif plus élevé pour les gros consommateurs ».
▶️D’autre part, ceci ne concerne pas la part fixe de la facture (« abonnement »). Avec un tarif progressif, la facture pour 120 m3/an va augmenter, ouvrant ainsi la possibilité d’augmenter la part fixe.
▶️Il est probable que la CCPI, qui a choisi de fixer la part fixe au maximum autorisé, maintiendra cette option parfaitement inéquitable et qui conduit à un prix réel exorbitant pour les premiers m3, ceux qui sont nécessaires à la vie.
▶️Voyons les effets sur trois scénarios vraisemblables (exemples fictifs – il y a de toute manière tant de tarifs différents à la CCPI qu’en choisir un n’aurait pas d’intérêt)
▶️Avec le tarif 1, dégressif, la facture pour une consommation moyenne sur la CCPI de 60m3/an serait de 247 €, dont une part fixe de 107 € (soit 43% de la facture). Le prix réel au m3 pour les plus petits consommateurs (30 m3) serait (182/30)= 6,06 €/m3
▶️Avec le tarif progressif 2, on fait en apparence baisser le prix pour les petits consommateurs, puisque le prix par m3 pour les 40 premiers m3 baisse de plus de 30 %. En apparence seulement, car le bénéfice est complètement effacé par l’augmentation de la part fixe (facture totale : 184 € au lieu de 182 € pour une consommation de 30m3/an, une personne seule, prix réel au m3 : 6,13 €)
▶️Mieux encore (ou pire), avec le tarif progressif 3, où on met en place la progressivité sans faire baisser le prix des premiers m3 : en respectant la loi, on peut parfaitement augmenter la facture des petits consommateurs (qui passe de 182 € à 225 €, soit une augmentation de 24%, pour un prix réel au m3 de 7,50 €).
▶️On voit que « tarification progressive » ne signifie pas « facturation progressive » , ni bénéfice pour les petits consommateurs sobres.
▶️La CCPI avait refusé d’examiner les propositions de Citoyens d’Iroise, qui allaient encore moins loin que celles annoncées par le Président de la République. Peut-être va-t-elle enfin revoir ses options, désormais ? Mais il faudra néanmoins être vigilants, car avec un peu d’imagination il est toujours possible de faire pire !
▶️À noter que la tarification progressive, qui pour être équitable, doit s’accompagner d’un accès à prix réduit (ou gratuit) aux premiers m3, est possible (et utilisée) en France depuis 2010.
▶️Pour aller plus loin :
Voici un rapport très intéressant de l’académie de l’eau à ce sujet :
https://www.pseau.org/outils/ouvrages/academie_de_l_eau_la_tarification_progressive_de_l_eau_potable_2011.pdf#:~:text=Depuis%202010%2C%20la%20loi%20fran%C3%A7aise%20autorise%20la%20mise,pr%C3%A9voit%20m%C3%AAme%20la%20possibilit%C3%A9%20d%27%C3%A9tablir%20des%20cat%C3%A9gories%20tarifaires.
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