Baignades en eaux troubles, une saison en Pays d’Iroise – Episode 7

Résumé des épisodes précédents : certaines plages d’Iroise sont fermées préventivement avant chaque épisode de pluies importantes, dans la plus grande discrétion, et en raison d’importantes pollutions bactériennes devenues récurrentes. Les raisons en sont assez facilement identifiables si on regarde du côté des élevages intensifs et des épandages qui en découlent, mais nos élus majoritaires ont un peu de mal à l’admettre. Et se demandent comment se soustraire à une réglementation européenne contraignante… mais peut-être pas incontournable…

Épisode 7 : L’ARS, gardien de la qualité de l’eau, ou protecteur des pollueurs ?

A partir des informations fournies à contre-cœur par l’ARS aux organisations locales de défense de l’environnement, et grâce à l’intervention du gendarme de la CADA,  il a été possible de vérifier que l’amélioration bizarre des classements reposait en fait sur l’élimination astucieuse des prélèvements correspondant à des pollutions….

 Si vous avez suivi jusqu’ici, vous avez compris que les prélèvements de l’ARS (ou par un bureau d’études sous-traitant, comme LABOCEA en Iroise) sont réalisés aléatoirement. A cet effet, le calendrier est fixé avant la saison, et ne peut être modifié selon les événements. Certains de ces prélèvements de surveillance peuvent donc tomber par hasard pendant un épisode pluvieux. Certes, il faut la combinaison de deux hasards, mais cela n’a rien d’impossible : en saison normale, en Iroise, il y a toujours au moins deux ou trois épisodes pluvieux d’un jour ou deux, et bien plus certaines mauvaises années…  

Ce sont ces prélèvements souvent très pollués qui posent problème à l’ARS, et eux seuls, car ce sont eux qui provoquent le déclassement des eaux de baignade : en temps normal, la qualité de l’eau est bonne sur la majorité des plages, et seules les pluies font très mal au classement, en générant des pollutions importantes.

 L’élève n’a donc pas toujours une mauvaise note lors des contrôles-surprise, mais lorsqu’il en a une c’est un zéro pointé, qui peut faire nettement chuter sa moyenne ; et il suffit que ceci se reproduise deux ou trois fois sur les quatre années qui servent à calculer le classement pour que celui-ci devienne mauvais. Ne serait-il pas possible d’écarter ces quelques devoirs quand on calcule la moyenne, pour que l’élève fasse une remontée spectaculaire dans le classement ?

Pourtant on a vu que la directive européenne a bien verrouillé le système, et qu’il n’est donc pas facile de tricher… Pas facile, mais pas impossible !

Tour de magie N° 1 : les pollutions qui disparaissent

En principe, le classement se fait très facilement à partir de toutes les analyses réalisées. N’importe qui peut le faire en intégrant les mesures dans un simple tableur : la formule est donnée dans la directive.

Toutes les analyses des prélèvements aléatoires prévus sont normalement prises en compte, bonnes ou mauvaises. Toutefois, la directive européenne a été écrite par des gens intelligents, qui ont prévu que les prélèvements aléatoires réalisés pour la surveillance pourraient tomber à un moment où la qualité de l’eau n’est pas représentative d’une situation normale.

Imaginons par exemple qu’une tonne à lisier se renverse le jour du prélèvement sur une plage où la qualité est normalement parfaite : il s’agit évidemment d’un accident temporaire, la cause est connue, on peut prendre des mesures simples pour éviter que cela se reproduise, et il ne serait pas normal qu’une plage très bien gérée et de très bonne qualité soit déclassée parce qu’un conducteur imprudent aurait pris son tracteur pour une Formule 1…

Dans la directive « eaux de baignade », cette situation porte le nom de « pollution à court terme », et le prélèvement correspondant peut alors légalement être écarté du classement.

Et c’est naturellement cette astuce qu’utilise l’ARS pour écarter du classement les pollutions qui pourraient le faire rétrograder, ceci grâce à un petit scénario à trois étages :

  • Comme le « profil de baignade » obligatoire a bien identifié le rapport évident entre pluie et pollution, l’ARS conseille à la commune de mettre en place ce qu’elle appelle une « gestion active » qui n’a d’active que le nom, puisqu’elle se limite à fermer préventivement la baignade dès qu’une forte pluie est prévue.
  • Lorsque la pluie est effectivement annoncée, la baignade est alors (discrètement) interdite par arrêté municipal, obligatoirement affiché sur un panneau à l’entrée de la plage, mais peu de baigneurs commencent leur séance de bronzage par la lecture d’un document administratif rébarbatif.
  • Dès lors, si un prélèvement aléatoire tombe par hasard pendant cette fermeture, et qu’il y a effectivement pollution, l’ARS n’a plus qu’à prétendre qu’il s’agit d’une « pollution à court terme » au sens de la directive européenne, écarter ce prélèvement du classement, et le tour est joué.

Bien sûr, l’intention du législateur européen n’a jamais été de permettre la transformation de pollutions systémiques en « pollutions à court terme », et il faut en principe fournir des justifications pour toute donnée écartée; mais comme personne ne vérifie, et puisque c’est le correcteur qui triche, pourquoi se gêner ?

L’astuce est d’autant plus démoniaque que cela ne se voit pas.

En effet, lorsqu’on commence à fausser les données, il n’y a pas d’amélioration brutale du classement : comme le classement est calculé sur une période glissante de 4 ans, on voit au contraire le classement s’améliorer progressivement à mesure que disparaissent du calcul les pollutions passées… et au bout de 4 ans (2020 en Iroise), le tour est joué et tous les classements ou presque sont bons ! 

 Et ceci permet d’expliquer benoîtement que cette amélioration est le fruit du travail acharné des maires pour améliorer la qualité des eaux de leurs plages… et surtout, surtout, éviter de parler des choses qui fâchent, comme les épandages d’effluents d’élevage.

La directive a encore prévu des gardes-fous : les accidents, c’est bien sûr possible, mais ça ne doit pas devenir une habitude : on n’a donc le droit de supprimer qu’un certain nombre ou un certain pourcentage des prélèvements au prétexte de la « pollution à court terme ».

Or le nombre minimum de prélèvements est de 4 par saison. Cela peut paraître dérisoire (4 jours de surveillance, pour une saison de baignade qui dure généralement au moins trois mois, soit 90 jours…), mais c’est logique, car il s’agit de calculer la qualité moyenne de la plage, et non de détecter toutes les pollutions éventuelles (ça, c’est le rôle de « l’autosurveillance », pour les communes qui le souhaitent). Avec ce nombre réduit de prélèvements, et si on respecte les limites de la directive, on ne peut écarter qu’un nombre limité de « pollutions à court terme »

⇨ Mais comme la directive n’a pas prévu de nombre maximal, les tricheurs ont trouvé la parade en multipliant les prélèvements sur les plages sujettes à pollutions (l’ARS en fait 14 par saison !), permettant ainsi à la fois d’éliminer plus de prélèvement pollués et de diluer les épisodes de pollution résiduels dans « un flot» de prélèvements satisfaisants…

Soulignons que même avec 14 jours de surveillance, on est bien loin d’une surveillance complète sur les 90 jours de la saison ; mais ce n’est pas le but de la surveillance, ni le rôle de l’ARS. Cette veille permanente relève de « l’autosurveillance », qui est de la responsabilité des communes qui le souhaitent pour les baignades où les risques le justifient. 

Dans l’épisode suivant, nous vous révèlerons d’autres tours de magie utilisés par les fraudeurs…

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