ACCÈS A L’EAU EN BRETAGNE ET DÉMOCRATIE EN PAYS D’IROISE – ÉPISODE 3

LA GESTION DE L’EAU POTABLE PAR DES ÉLUS PROCHES DU SECTEUR INDUSTRIEL DE L’ÉLEVAGE

Médiapart a publié une enquête très intéressante, fruit d’une investigation de Inès Léraud et Kristen Falc’hon. Cette enquête pointe un certain nombre de dysfonctionnements de notre démocratie locale sur un sujet préoccupant : l’accès à l’eau et la pollution des eaux de baignade. L’enquête s’appuie sur les problématiques soulevées par l’extension de la mégaporcherie Avel Vor. Nous poursuivons ici l’explication de la gestion de l’eau sur notre territoire.

1) LE SYNDICAT DES EAUX DU BAS LÉON (SEBL)

➡️ En plus de ses missions statutaires de production d’eau potable, le SEBL s’est donc vu confier la mission de mettre en œuvre les décisions de la CLE.
Ces deux missions sont en principe distinctes, et au bénéfice de «clients» différents :

  • collectivités acheteuses d’eau dans un cas (sous le contrôle du comité syndical), pour la production d’eau ;
  • communauté des usagers de l’eau (sous le contrôle de la CLE) pour la mise en oeuvre d’actions destinées à protéger la qualité de l’eau (SAGE).

➡️ Mais, alors qu’en matière de SAGE, le SEBL ne devrait être qu’un exécutant des décisions de la CLE, on constate que dans la pratique, la gouvernance est inversée.

➡️ Les décisions sont en réalité prises par le SEBL, au sein de son comité syndical (équivalent pour un syndicat d’un conseil d’administration), et ces décisions sont ensuite actées sans véritable discussion par la CLE.

➡️ On peut le vérifier en comparant le calendrier des décisions dans les deux instances : les décisions budgétaires importantes en matière de gestion de l’eau sont d’abord votées au comité syndical du SEBL, avant d’être soumises – pour la forme – à la CLE, sans aucun risque que ces décisions soient contestées.

Et qui trouve-t-on au comité syndical du SEBL ?
-(E) : Marguerite Lamour (élue proche du secteur de l’élevage industriel)

  • VICE-PRÉSIDENTS : Christophe Bèle, ancien directeur général d‘Aveltis, devenu Evel’Up (coopérative porcine présidée par l’exploitant Philippe Bizien), Gilles Mounier (cadre chez Evel’up jusqu’en 2021), Guy Taloc.

➡️ Ce sont donc EXACTEMENT les mêmes personnes, impliquées dans le secteur industriel de l’élevage, qui gèrent le SAGE.

➡️ Les membres du bureau syndical sont dans leur quasi-totalité éleveurs ou anciens éleveurs, ou liés de très près au secteur de l’élevage industriel. Au total, c’est plus de la moitié du comité syndical qui est liée à ce secteur.

2) UNE GOUVERNANCE PROBLÉMATIQUE, DOMINÉE PAR LE SECTEUR DE L’ÉLEVAGE

➡️ On a vu que les décisions qui devraient être prises de manière collégiale, dans l’intérêt général et dans le cadre de la CLE, le sont dans la pratique au sein du SEBL, complètement inféodé au secteur de l’élevage industriel.
On a vu aussi que ce même secteur a complètement noyauté la CLE, réduite à une simple chambre d’enregistrement.

➡️ Bien loin donc du schéma vertueux imaginé par le législateur pour décentraliser la gestion de l’eau au niveau local, on voit que le système a été complètement confisqué par des élus à la double casquette, qui décident entre eux et d’ailleurs sans document cadre depuis 2 ans, puisque le SAGE du BAS Léon, élaboré en 2014, aurait dû être révisé en 2020.

➡️ Ainsi, le programme opérationnel du SAGE a pris fin en 2019. Regardez les dates de l’annexe 6, p 127
SAGE du Bas Léon : https://www.syndicateauxbasleon.bzh/sites/default/files/upload/documents/2014.02_sage_du_bas-leon_pagd.pdf

Par ailleurs, le SEBL qui met en œuvre le SAGE est aussi un distributeur/vendeur d’eau (service à caractère industriel et commercial).

Or, dans les documents budgétaires en ligne, la distinction entre la fonction SAGE ( = protection de la ressource financée par l’agence de l’eau) et la fonction distributeur/vendeur d’eau (financée par les ventes d’eau) n’est absolument pas claire.

Vous pouvez en juger par vous-mêmes dans le Rapport d’Orientations Budgétaires 2021 : https://www.syndicateauxbasleon.bzh/sites/default/files/upload/publications/rapportsannuels/2021_12_09_rob_2021.pdf

  • Les recettes des programmes environnementaux sont bien distinguées des recettes du service de distribution/vente d’eau.
  • Par contre, côté dépenses, tout est dans le même tableau : il n’y a pas une partie SAGE et une partie distributeur/vendeur d’eau.

Il est donc impossible de suivre l’emploi des financements publics réservés à la gestion de l’eau, et de s’assurer qu’ils ne sont pas utilisés pour les autres missions du SEBL…

3) CONCLUSION :

➡️ Le SAGE étant complètement contrôlé par des élus liés au secteur industriel de l’élevage, faut-il s’étonner de la situation dans laquelle se trouve l’Iroise en matière d’eau potable :

  • Le Pays d’Iroise doit importer plus de 52 % de l’eau qu’il consomme (et est invité à acheter le reste au… SEBL, producteur d’eau !) : nous sommes donc en face d’un problème de quantité.
  • Le Pays d’Iroise a d’ailleurs organisé un passage administratif et financier de l’eau achetée à Eau Du Ponant par le SEBL pour lui permettre de ponctionner plus d’usagers et de financer ses investissements. Facile : la présidente et un vice-président de SEBL sont aussi vice-présidents au Pays d’Iroise. Le cumul des casquettes a des avantages….
  • L’eau destinée la consommation est contaminée par les pesticides et les nitrates, du fait que tous les captages et forages sont, soit utilisés par l’élevage, soit pollués par ses effluents et par les traitements destinés aux cultures industrielles (maïs..) destinées à nourrir les animaux.
  • Les terres d’alimentation du captage du Traon (un des derniers captages existants en Iroise, et captage prioritaire du SDAGE, rappelons-le) sont en attente de mesures de protection depuis plus de …. 30 ans !

➡️ Et il semble clair que cette situation n’est pas propre (si l’on ose dire..) à l’Iroise et au SAGE du Bas-Léon : la plupart des SAGE en Bretagne semblent contrôlés par des représentants du secteur de l’élevage industriel.

➡️ Comment s’étonner alors que les pollutions d’origine agricole persistent depuis plus de 25 ans, puisque ce sont des représentants du secteur de l’élevage qui sont aux commandes des instances démocratiques chargées de protéger l’intérêt général , et ce avec la bénédiction de l’État, ou tout au moins son apparente approbation passive ?

4) Pour terminer, voici un petit extrait de l’enquête publiée par Médiapart :

« Baignade en eaux troubles
Il faut dire que le SEBL semble acquis à la filière porcine. Christophe Bèle, par ailleurs maire de Kernouës, a été directeur général d’Evel’Up (le groupe porcin présidé par Philippe Bizien) jusqu’en 2014 et a aussi présidé Compofertil, filiale à 100 % d’Evalor (la société d’unités de méthanisation présidée par Philippe Bizien).
Sa présidente Marguerite Lamour, maire de Ploudalmézeau, est un soutien historique du secteur porcin et son vice-président Gilles Mounier, maire de Saint-Renan, a été cadre d’Evel’Up, tandis que son épouse y est toujours chargée de la communication.
« Les instances démocratiques, notamment celles qui gèrent l’eau et l’environnement, sont noyautées par le lobby porcin, constate, sidérée, Armelle Jaouen, conseillère communautaire de Pays d’Iroise Communauté. Par exemple, Gilles Mounier est aussi vice-président du conseil départemental du Finistère, vice-président de Pays d’Iroise Communauté, vice-président de la commission locale de l’eau, membre de la commission qui nomme les commissaires-enquêteurs [notamment Jacques Soubigou, le commissaire ayant mené une enquête biaisée favorable à Avel Vor – ndlr] et membre du Coderst du Finistère [lequel a donné vendredi 4 novembre un avis favorable à l’extension d’Avel Vor – ndlr]. »
Selon nos informations, Gilles Mounier ne s’est pas retiré du vote du Coderst de ce vendredi 4 novembre, alors que sa déclaration d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique indique pourtant des liens avec la coopérative Evel’Up de Philippe Bizien.
Armelle Jaouen, institutrice de 49 ans, a souhaité s’engager en politique locale pour y contrer cette surreprésentation des dirigeants et ex-dirigeants agro-industriels. Une question vitale selon elle, car les facilités obtenues par la filière porcine auprès des pouvoirs publics menacent la santé des habitants ainsi que leur accès à l’eau potable.
En effet, cet été 2022, la Bretagne, comme le reste de la France, a eu très chaud. Les alertes émises par les représentants de l’État dans la région donnent une idée de la gravité de la situation : le 26 septembre, la préfecture des Côtes-d’Armor pointait « un risque sérieux de rupture de l’alimentation en eau potable » et une réserve en eau de « 30 à 35 jours ».
Dans les départements voisins, la situation est aussi alarmante. Dans son bulletin d’octobre, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) indique que plus de 70 % des nappes souterraines observées en Bretagne ont atteint un niveau critique (100 % dans le Finistère).
Une situation inédite pour la région, qui pourrait se reproduire. Mais les étés caniculaires ne sont pas les seuls responsables de cette situation extrême. »

Le lien vers l’intégralité de l’enquête de Médiapart :
https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/041122/acces-l-eau-en-bretagne-les-travers-du-porc

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