Dans la rade de Brest, les effets irréversibles de la pollution humaine sur le plancton

Étudier l’ADN préservé dans les sédiments marins peut nous apporter de précieuses informations sur l’évolution des communautés planctoniques marines. Son contenu est essentiel aux travaux menés pour comprendre les trajectoires d’évolution des écosystèmes côtiers, et ce à l’échelle de plusieurs siècles.

En couplant les observations paléogénétiques à d’autres indicateurs biogéochimiques, il est ainsi possible de remonter jusqu’aux causes des changements biologiques observés. Cette analyse pluridisciplinaire a justement fait l’objet d’une étude en Bretagne, dans la rade de Brest, projet piloté par l’Ifremer (Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer) entre 2017 et 2020.

Ces travaux ont démontré que les pollutions de la Seconde Guerre mondiale et celles de l’activité agricole intensive après les années 1940 avaient complètement modifié les populations locales de plancton de la rade, favorisant le développement d’espèces de microalgues toxiques.

Des changements spectaculaires depuis 1940

Grâce à l’échantillonnage de sédiments marins de différentes époques (carottes sédimentaires) dans trois sites de la rade de Brest, il a été possible de reconstruire l’évolution des communautés planctoniques depuis le Moyen Âge, il y a de cela 1400 ans, jusqu’à présent.

Après avoir été échantillonnées, les carottes de sédiments ont été découpées centimètre par centimètre en procédant immédiatement à la préservation et l’analyse de l’ADN ancien avec des méthodes précautionneuses visant à éviter des contaminations avec l’ADN contemporain.

Cet ADN ancien a été amplifié et séquencé, et une analyse par « metabarcoding » (étude massive de barcodes moléculaires permettant d’identifier les espèces) a permis de caractériser de manière exhaustive les communautés de microeucaryotes (protistes) anciennes et modernes et d’analyser les changements dans leur composition au cours du temps.

Le résultat est spectaculaire. Du Moyen Âge jusqu’aux années 1940-50, certains genres dominent dans le plancton de la rade. Après cette période, d’autres ordres et genres apparaissent, et ceux qui dominaient précédemment ont disparu presque totalement.

Comment expliquer ce changement ? Des analyses de polluants (métaux lourds et PCBs) ont été effectuées dans les mêmes sédiments.

Nickel et chrome, signatures de pollutions liées à la guerre

Des pics de concentrations en nickel et en chrome ont été mesurés sur cette même période de 1940-1950. Ces signatures chimiques peuvent être associées à différentes sources de pollutions (trafic naval, construction des bases sous-marines, bombardements) engendrées par l’industrie militaire de la Seconde Guerre mondiale.

La rade de Brest a en effet subi 165 bombardements avec plus de 30 000 tonnes de bombes déployées. La ville a été complètement détruite entre 1940 et 1944, année où il ne restait que quatre bâtiments debout dans le centre-ville.

Ces mêmes signatures chimiques ont été retrouvées en teneurs similaires sur d’autres sites de guerre navale, tels que Pearl Harbor à Hawaï où l’aviation japonaise a détruit la flotte américaine en 1945.

Après la guerre, le boom des pesticides et des engrais

Dans les sédiments de la période post-guerre, les contaminations aux métaux lourds (zinc, plomb, argent, cuivre, mercure) et aux polychlorobiphényles (PCBs) ont été attribuées aux activités humaines, et en particulier au développement des activités industrielles et agricoles qu’a connu le territoire brestois.

Ces données suggèrent un usage croissant de pesticides et d’engrais dans les terres et leur écoulement vers le littoral via le lessivage des contaminants dans les rivières bretonnes.

Des analyses des concentrations de pollen de plantes (aulne, frêne, saule) sur le même site d’étude témoignent des changements des paysages et des pratiques agricoles finistériennes, et confirment les pressions humaines subies par le paysage côtier breton.

Les pollutions d’origine agricole et industrielle, superposées aux effets des contaminations engendrées par la Seconde Guerre mondiale, ont ensemble bouleversé les communautés planctoniques de l’écosystème et favorisé le développement de nouveaux assemblages d’espèces, dont certaines sont toxiques pour l’homme.

Une microalgue toxique dans les huîtres

La microalgue Alexandrium minutum est ainsi devenue progressivement plus abondante dans la rade, provoquant, à l’occasion de ses efflorescences régulières, des interdictions de vente des coquillages.

Accumulée par les huîtres et d’autres bivalves qui s’en nourrissent, elle les rend impropres à la consommation en provoquant des syndromes neurologiques et paralysants puissants, pouvant entraîner, dans de rares cas, la mort d’un humain par arrêt du muscle cardiaque.

La pollution humaine n’a ainsi pas seulement transformé le plancton de la rade mais également contribué au développement d’un nouveau risque sanitaire pour l’humain.

Sans parler des conséquences économiques subies par la filière conchylicole lorsque les exploitations aquacoles sont fermées durant les efflorescences toxiques, comme cela s’est produit en été 2012 en rade de Brest justement à la suite d’une efflorescence toxique d’Alexandrium minutum

Des effets irrémédiables

L’approche paléoécologique poursuivie dans le cadre de cette étude démontre que, depuis la période de la Seconde Guerre mondiale, nous ne retrouvons plus dans la rade de Brest les communautés planctoniques présentes au Moyen Âge.

En l’espace d’environ 70 années, la communauté microbienne locale n’a jamais retrouvé la composition de la période antérieure aux contaminations. Les analyses sur le plancton marin suggèrent ainsi que des changements potentiellement irréversibles ont pu se produire dans l’écosystème de la rade de Brest.

En effet, la modification connue par le plancton ne représente peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Il est possible qu’elle ait entraîné des effets en cascade le long de la chaîne trophique marine, dont le plancton constitue la base, avec des conséquences potentiellement négatives sur les communautés du zooplancton, des organismes filtreurs benthiques ou des poissons.

La nécessité d’une réduction drastique des polluants

Ces observations contribuent aux études sur la capacité de résilience d’un écosystème côtier, c’est-à-dire sa capacité à récupérer son équilibre après un changement majeur.

Le seul vrai moyen de revenir aux conditions précédant les contaminations d’origine humaine et de réduire le risque induit par le plancton toxique serait de diminuer drastiquement l’usage des pesticides et engrais chimiques, et de poursuivre une politique de transition écologique vers des pratiques agricoles plus soutenables pour l’environnement.

Les courbes des polluants montrent que, grâce aux efforts accomplis depuis les années 1990 par le secteur, la pollution a diminué. Il est toutefois difficile de déterminer si cela suffira à la reconstitution de l’écosystème planctonique pré-Seconde Guerre mondiale, compte tenu des changements continus de l’espace côtier brestois.

Cette étude illustre combien l’activité de l’homme est susceptible d’engendrer des dégâts irréversibles sur l’écosystème marin, même dans sa composante la plus microscopique. Espérons que la mise en évidence de ces effets puisse éviter de reproduire l’histoire de la rade de Brest et que la conscience accrue de ces enjeux fasse évoluer la gestion du territoire marin côtier.

Retrouvez cet article sur le site de The Conversation : https://theconversation.com/dans-la-rade-de-brest-les-effets-irreversibles-de-la-pollution-humaine-sur-le-plancton-170354

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